2 Hôpital Riviera-Chablais

29 avril 2020 24H, L’Hôpital Riviera-Chablais sous audit

Crise Vaud et Valais ont dû se porter garants pour l’hôpital mal en point, qui n'aurait plus pu payer ses salaires.

Par Stéphanie Arboit ABO+ 29.04.2020
Les inquiétudes qui circulaient dans les couloirs de l’Hôpital Riviera-Chablais (HRC) sur des problèmes financiers se sont révélées plus qu’exactes. Pire: la situation est si «grave» que sans aide de l’Etat, l’HRC ne pourrait plus payer les salaires de ses employés, ont déclaré les ministres vaudois de la Santé et des Finances, lors d’une conférence de presse ce mercredi (lire l’encadré). Au lieu des 6 millions de perte budgétés, le déficit 2019 annoncé ce mercredi est trois fois plus important: 18 millions (sur un total de charges de 298 millions). Le trou aurait pu être plus profond encore, à 22 millions, mais les 4 millions accordés par les Cantons de Vaud et de Valais pour cette année de déménagement à Rennaz adoucissent légèrement la douloureuse.
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Conséquence: le fonds de roulement (sorte de porte-monnaie pour l’hôpital, qui devrait être constitué de 90 millions environ, soit le tiers de son budget) est quasi à sec, ne permettant pas à l’HRC d’honorer toutes ses factures. L’hôpital doit donc emprunter. Les Cantons de Vaud et du Valais s’étaient portés garants des dettes contractées par l’HRC pour le projet de Rennaz à hauteur de 330 millions. Désormais, les gouvernements ont dû étendre temporairement cette garantie d’emprunt à 410 millions (60 millions côté vaudois et 20 millions côté valaisan).
«Le Conseil d’Etat et des députés sont en colère, concède Marc-Etienne Diserens, président du Conseil d’établissement de l’HRC et également président de la commission de construction du nouvel hôpital à Rennaz. Ils ont l’impression que l’on a basculé de la fête de l’inauguration (ndlr: le 29 août) à l’annonce de ce déficit. La confiance est ébranlée. A-t-on fait des erreurs? Y a-t-il des choses à nous reprocher? On verra: l’audit exigé par le Canton en contrepartie de l’octroi de l’extension de garantie nous semble une bonne chose.»
Audit
Cet audit ne s’occupera pas uniquement des soucis financiers, mais également de la gouvernance de l’hôpital. Pour rappel, en juillet dernier, «24 heures» livrait une enquête fouillée sur les nombreux problèmes à l’HRC, que certains médecins imputaient au management et la direction au déménagement: départs de spécialistes, burn-out du personnel et baisse d’activités. L’un des médecins ayant témoigné, le chirurgien orthopédique Dr Jean-Luc Meystre, ne demandait rien d’autre qu’«un audit indépendant sur le fonctionnement de l’hôpital». «Enfin!» s’exclame aujourd’hui ce praticien qui opère encore dans une clinique privée.
L’audit réjouit également la Société vaudoise de médecine (SVM): «Durant ces dernières années, impuissants, nous avons rapporté les difficultés aux instances politiques et de direction de l’HRC, mais nous n’avons jamais été intégrés dans une réflexion pour infléchir le cap. Il faut que quelque chose change pour que tout le monde se réapproprie l’hôpital le plus moderne de Suisse. Il faut le réenchanter», affirme le président de la SVM, Philippe Eggimann.
Grosse baisse d’activité
Comment en est-on arrivé à une telle perte pour 2019, après d’autres exercices moins déficitaires (lire ci-contre)? Si l’audit devra mettre en lumière d’éventuelles erreurs et responsabilités, les explications purement financières avancées actuellement sont d’une part des surcoûts liés au déménagement (pour près de 5 millions), mais surtout un trou de 18 millions dans l’activité hospitalière (9 millions de moins qu’escompté en ambulatoire, 6 millions de moins en hospitalisation et 2,5 millions de moins en réadaptation).
«Cela a été un grand coup pour nous», se désole Marc-Etienne Diserens. «Nous avions prévu de déménager en été, quand les opérations sont moins nombreuses, explique Pascal Rubin, directeur de l’HRC. Avec le report du déménagement à une période de fin d’année habituellement remplie, nos activités se sont trouvées réduites presque à néant pendant ces trois à quatre semaines, sans compter que nous avons connu quelques soucis de démarrage en novembre et décembre.»
Un éventuel retard et une inhérente baisse d’activités n'auraient-ils pas dû être anticipés et prévus au budget 2019? «Nous n’avions pas imaginé non plus que les patients allaient être moins nombreux même avant le déménagement, où les gens semblent avoir temporisé leurs opérations. Mais il est vrai que notre budget d’activité était ambitieux», concède Pascal Rubin. Et volontariste, ajoute Marc-Etienne Diserens: «Nous voulions tout faire pour maintenir l’activité.»
«Le déficit actuel n’est pas étonnant, après le départ ces dernières années de plus de 30 médecins, principaux contributeurs du chiffre d’affaires de l’hôpital», analyse Philippe Eggimann. «Certes, le départ d’un radio-oncologue entraîne à lui seul une perte de 1,5 million, détaille Pascal Rubin. Mais le poste a été repourvu. Par ailleurs, nous comptons sur le développement des nouvelles activités, dont le début a été différé (essentiellement radiologie et cardiologie interventionnelles) pour mieux augmenter l’activité ambulatoire au dernier trimestre 2020.»
Départs non remplacés
«Malgré cette année difficile et plus complexe que prévu, le bilan financier est certes négatif mais il faut souligner le fort engagement du personnel, martèle Marc-Etienne Diserens. L’on peut se féliciter que l’hôpital fonctionne bien. Il a été mis à l’épreuve des faits notamment par la crise du coronavirus.»
Ce personnel sera néanmoins mis à contribution dans les mesures immédiates pour assainir la situation financière: 2,5% de la masse salariale sera réduite par des non-renouvellements de départs –une garantie de non-licenciements existant après le regroupement des 5 hôpitaux sur un seul site.
Alors que les débuts chaotiques de Rennaz (notre édition du 31 janvier) pouvaient en partie être imputés à des flux de personnel trop tendus au bloc opératoire en particulier, le personnel ne se retrouvera-t-il pas exagérément mis sous pression avec ces futurs postes non repourvus? «Non, cela ne se fera pas au détriment des conditions de travail, promet Marc-Etienne Diserens. Nous travaillerons surtout sur la qualité et les façons d’être plus efficients dans notre organisation, avec l’appui du professeur Pierre-François Leyvraz», ex-directeur du CHUV envoyé en renfort à l’HRC pour un an dès le 9 mars.
Au rang des mesures, un renforcement de la direction financière de l’hôpital est également prévu. Et des lits ont déjà été fermés en Service de médecine, alors que l’hôpital est flambant neuf. Est-ce là une future piste d’économies? «C’est une réflexion, répond Pascal Rubin. Si nous fermons des lits, c’est qu’ils sont dotés et non occupés. Le taux d’occupation recommandé au niveau suisse est de 85%. Personne ne tolérerait des taux de 60%, qui n'est même pas atteint actuellement dans ce service avec 70 patients pour une capacité maximale de 132 lits.»
Créé: 29.04.2020, 20h30